Lubrification première partie : notions de tribologie.
INTRODUCTION
Je tiens à remercier ici Romain pour m'avoir suggéré de développer ce sujet sur la lubrification lors de la récente visite de son atelier. C'est un domaine qui devrait intéresser de nombreux mécaniciens et pas seulement des amateurs si j'en crois les nombreuses questions posées sur les forums de mécanique. Qu'il s'agisse de mécanique auto ou de mécanique générale, beaucoup de gens sont confrontés au problème du choix d'un lubrifiant.
Je sais que je risque de me faire quelques ennemis parmi les gens qui fréquentent des forums de mécanique. Mais je me sens obligé de le dire ici : méfiez-vous des "conseils" qu'on peut vous donner sur les forums ou dans des vidéos publiées sur Internet. Certains sont très pertinents et d'autres beaucoup moins. Je suis bien placé pour en parler puisque je suis modérateur sur l'un de ces forums : Passion-usinages. Et à ce titre, le lis quasiment tout ce qui s'y écrit. Malheureusement les équipes de modération ne sont pas omniscientes et on ne peut pas rectifier toutes les bêtises qui s'écrivent au milieu d'un flot incessant de renseignements solides et utiles. Si vous allez chercher des renseignements sur Internet, méfiez-vous particulièrement des affirmations du style " je fais comme ça et je n'ai jamais eu de problème". Votre interlocuteur est probablement sincère, mais est-il réellement compétent ? N'êtes-vous pas confronté à un cas d'emploi différent de celui de votre interlocuteur ? Méfiez-vous particulièrement des avis non argumentés et non étayés par des notions scientifiques. Sur un forum, le risque d'erreur est un peu limité. N'importe quel membre a la possibilité de contester ou de nuancer des propos qui lui semblent inadaptés, incomplets ou qui tendent à généraliser un cas particulier. Plusieurs avis valent généralement mieux qu'un si on sait faire un peu de tri. Par contre, si vous regardez une vidéo, rappelez-vous qu'il n'y a aucun "contre-pouvoir" pour dénoncer des affirmations fallacieuses.
La lubrification est un domaine à la fois complexe et méconnu du grand-public et, hélas, de nombreux mécaniciens. Il l'est parce que dans cette affaire, il est question de micro-géométrie (rugosité), de géométrie (initiale et déformations sous contrainte) de beaucoup de physico-chimie. Et hélas aussi de critères économiques, il ne faut pas le cacher.
En quoi suis-je compétent dans cette affaire ?
D'abord, je le suis un peu par mon expérience industrielle et dans les sports mécaniques. J'ai dû résoudre de multiples problèmes de lubrification au cours de ma carrière. Ensuite, le le suis un peu parce qu'à titre personnel, ce sujet m'a beaucoup intéressé. Je le suis aussi parce que j'ai travaillé au Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes au sein d'une unité mixte de recherche. C'était il y a un peu plus de vingt ans. Le laboratoire a continué ses recherches et actuellement il travaille sur les technologies de demain. Ci-dessous une vidéo trouvée sur internet.
Certes je n'étais pas un spécialiste de ce domaine précis, puisque je travaillais sur des problématiques liées à la rectification des surfaces. Je ne prétends pas l'être. Mais, des experts en tribologie j'en ai côtoyé dans ce laboratoire. Et comme je suis curieux par nature, j'ai fatalement appris des notions de tribologie. Je le suis un peu aussi parce que dans ma jeunesse j'avais le privilège de pouvoir entrer facilement au CRES (Centre de Recherches ELF Solaize.) Et là aussi j'ai appris des choses parce que j'aime apprendre. Enfin, je le suis un peu parce qu'au cours de ma carrière d'ingénieur, pour résoudre des problèmes industriels ou de développement de moteurs ultra-performants j'ai fait travailler des experts avec lesquels j'ai eu tout loisir d'échanger. De nombreux docteurs-ingénieurs et parfois même des universitaires de haut niveau parmi lesquels celui que je (et beaucoup de spécialistes) considère(nt) comme "le pape de la lubrification" : monsieur Jean Frene. Enfin, je le suis un peu aussi parce que pour écrire cet article, comme tous les articles de ce blog, j'ai consulté la littérature : des thèses doctorales, des cours universitaires, des bouquins écrits par des ingénieurs travaillant chez les pétroliers. Douter de soi à tout instant est le meilleur moyen de progresser.
Malgré mon expérience, j'ai conscience que je suis très loin d'être un expert. Les pages que vous allez lire doivent être une invitation à vous perfectionner, une prise de conscience des problématiques auxquelles on est confronté lorsqu'on doit choisir un lubrifiant. Ce n'est en aucun cas un cours. Vous n'y trouverez que très peu de formules mathématiques qui pourtant sont disponibles dans la littérature. J'espère cependant que ce travail vous aidera à comprendre les principales problématiques pour trouver des solutions pertinentes à vos problèmes. Il y a des tendances générales, mais chaque cas est particulier. Je remercie d'avance les personnes plus compétentes que moi de bien vouloir me signaler des erreurs ou détails qu'ils pensent importants. Je ne parle que de mon expérience et de ce qui m'a servi dans mon métier. Comme toutes les pages de ce blog, cette page évoluera certainement au fil du temps.
SOMMAIRE
Première partie : notions de tribologie
Seconde partie : physico-chimie des lubrifiants (à venir)
Troisième partie : cas pratiques (à venir).
NOTIONS DE TRIBOLOGIE
La tribologie est la science qui étudie les frottements.
Macrogéométrie et microgéométrie des surfaces réelles
Dans l'article de ce blog relatif à la métrologie, j'ai déjà parlé de la géométrie des surfaces réelles. Vous pouvez consulter cet article en cliquant sur le lien suivant :
Métrologie dimensionnelle. Première partie : spécifications du plan
Approche à l'échelle microscopique
De cet article, il faut retenir que les surfaces réelles des pièces en frottement ne sont jamais les surfaces théoriques parfaites définies par une équation mathématique simple. Quel que soit le niveau de finition, il persiste des pics et des creux de rugosité sur chaque pièce. Les surfaces réelles ne portent en réalité que sur les pics de rugosité et par conséquent la pression locale est très significativement plus importante que la pression moyenne qu'on calcule en divisant l'effort appliqué par la surface théorique.
Surfaces réelles en contact
Ces pics s'inter-pénètrent et forment des liaisons par obstacle qui s'opposent au glissement des pièces l'une sur l'autre. Pour que le déplacement soit possible, il faut que les pics de rugosité qui forment obstacle soient cisaillés, fléchissent ou que les surfaces s'écartent. On peut se faire une idée de ce qui se passe à l'échelle microscopique en imaginant qu'on veut faire glisser deux brosses l'une sur l'autre.
Quand la pression qui tend à faire s'inter-pénètrer les surfaces est faible, il y a peu de pics qui s'interpénètrent et doivent se cisailler ou se déformer pour permettre le mouvement. il se produit un rodage de la surface qui tend a augmenter la surface réelle de contact. Pour pouvoir cisailler ou déformer les pics de rugosité, il faut fournir de l'énergie au système. Il y a donc une dissipation d'énergie dans l'interface. Cette énergie se retrouve sous forme de chaleur. L'interface s'échauffe. Dans certains cas l'échauffement est tel que localement (à l'échelle microscopique) la matière est portée à la fusion. Un peu plus tard, la chaleur s'étant évacuée par conduction dans la matière des pièces, la matière refroidit ce qui provoque des micro-soudures. Pour que le mouvement puisse se poursuivre, il faut vaincre ces micro-soudures en les cisaillant à nouveau. Ces nouveaux cisaillements provoquent un nouvel apport calorifique et petit à petit une partie de plus en plus importante de la surface se retrouve à l'état pâteux ou carrément fondue. C'est le phénomène de grippage. Phénomène aussi connu sous le nom d'usure adhésive. Dans un palier, l'échauffement de l'arbre qui est souvent plus mal refroidi que l'alésage provoque une dilatation plus grande de l'arbre que celle de l'alésage. Les forces de frottement s'intensifient, la dissipation de chaleur aussi et le serrage du palier intervient très vite.
Mais avant d'en arriver à l'usure adhésive, il y a eu des pertes de matériau par arrachement des pics de rugosité. Cette matière est en partie évacuée de l'interface. C'est ce qu'on appelle l'usure abrasive. Si l'usure abrasive peut être bénéfique lors de la période de rodage, elle devient vraiment gênante ensuite parce qu'elle conduit à une perte de matériau qui peut être significative à l'échelle macroscopique.
On pourrait penser qu'au bout d'un certain temps, toute la rugosité ayant disparu, les surfaces réelles sont si proches des surfaces idéales qu'il n'existe plus de pics de rugosité. Ce n'est hélas pas si simple à cause de la conjonction de plusieurs phénomènes.
Impact des variations d'efforts
La matière a un comportement élastique, c'est bien connu. Par conséquent, toute variation de contrainte se traduit par une variation de géométrie locale. La surface réelle qui porte est tributaire de l'effort appliqué. Il n'y a donc pas de possibilité d'atteindre une parfaite correspondance des deux surfaces antagonistes puisque leur formes évoluent en fonction de la charge.
Impact de la thermique
Considérations thermomécaniques
Lors de l'arrachement d'un pic de rugosité, l'énergie se retrouve transformée en chaleur. Cette chaleur provoque une dilatation locale au niveau des parties en saillie. Cette dilatation locale contribue d'abord à augmenter la saillie locale, ce qui augmente la dissipation thermique. Une fois refroidie la zone qui était en saillie se rétracte et se retrouve en creux. Une autre partie qui était en creux se retrouve alors en saillie. Et ainsi, le creux devient un pic qui porte à son tour. Le processus d'usure se poursuit de proche en proche. L'usure abrasive se poursuit.
Considérations thermochimiques
On sait que la température et mobilité atomique sont liées. De nombreuses expériences ont montré que la pression et la température favorisent la diffusion atomique. Je ne suis pas chimiste et par conséquent, je ne saurais pas expliquer en détails pourquoi (même si j'ai quand même un avis là-dessus), mais il est connu qu'il faut éviter de faire frotter deux pièces antagonistes de même nature. Le cas le plus connu est probablement celui des segments : chemises en acier, segments en fonte ; chemises en fonte, segments en acier, avec en plus toutes les possibilités de revêtements de segments (chromage dur, TiN, Balinit C, etc.)
Pour diverses raisons, on ne peut pas toujours utiliser des matériaux fondamentalement différents. Pour des pièces en acier traité on peut parfois solutionner ce problème en utilisant une pièce cémentée et l'autre nitrurée. ça suffit souvent pour éviter des usures adhésives.
Considérations électriques
Il est assez facile de comprendre que plus l'effort appliqué entre les deux surfaces est important, plus elles sont comprimées élastiquement ce qui a pour effet d'avoir tendance à les écarter.
Cependant, la matière étant chargée électriquement, on ne peut plus négliger les forces de Van der Valls lorsqu'on applique fortement une pièce contre l'autre. Concrètement, les surfaces s'attirent mutuellement d'autant plus qu'elles sont proches l'une de l'autre. On sait bien que les forces électrostatiques sont inversement proportionnelles au carré de la distance qui sépare les charges. Si vous doutez de cette attirance électrostatique, souvenez-vous des cales-étalon qu'on fait tenir l'une sur l'autre en les frottant pour évacuer l'air entre leurs surfaces. La rugosité des cales étalons très faible permet d'avoir un fort taux de portance ce qui donne une faible distance moyenne entre les deux surfaces. Cette attirance mutuelle explique probablement au moins partiellement le processus d'usure adhésive : les particules d'abord arrachées par abrasion sont attirées par les surfaces sur lesquelles elles viennent se souder devenant ainsi de microscopiques "outils" qui "usinent" la pièce antagoniste.
Or, il existe en électrostatique un phénomène qu'on appelle le pouvoir des pointes, ou l'effet paratonnerre. Les charges électriques sont concentrées dans les parties saillantes. C'est pour cette raison qu'une tige métallique attire d'autant plus la foudre qu'elle est pointue. En conséquence, le "collage" des particules arrachées au lieu de contribuer à remplir les creux de rugosité a tendance à augmenter la hauteur des pics qui vont éroder la surface antagoniste.
Approche à l'échelle macroscopique
Lorsqu'on considère un corps qui porte sur un autre corps de telle manière que les surfaces macroscopiques de contact ont des rayons de courbure locaux très différents on est obligé de faire appel à la mécanique de contact. C'est, par exemple, le cas pour une sphère qui porte sur un plan ou le contact entre deux dents d'engrenages. Pour des surfaces théoriques, le contact d'une sphère sur un plan est un point et celui de deux dents d'engrenages une ligne. Un point ou une ligne n'ont pas de surface. La contrainte dans les pièces étant la force de contact divisée par la surface de contact devrait être infinie puisque la surface de contact devrait être nulle. Ce n'est évidemment pas le cas sinon les pièces se disloqueraient instantanément. Grâce à l'élasticité de la matière une déformation locale se produit. Les formes locales s'accommodent pour former une surface de contact. C'est un disque pour un contact "ponctuel" et une ellipse pour un contact "linéique".
Le Physicien allemand Hertz a donné son nom à ce type de contact. Les contacts Hertziens sont régis par quatre équations fondamentales qu'on trouve facilement dans la littérature.
Ici, par exemple : Lien vers Wikipédia
Environ les 3/4 des problèmes de lubrification que j'ai du affronter étaient liés au moins en partie à des contacts hertziens. Prenons par exemple le cas des dents d'engrenage. Les profils des dents en développante de cercle sont définis pour obtenir un roulement sans glissement d'un profil sur l'autre. Dans la réalité, du fait de la déformation élastique des profils soumis à des pressions de Hertz, la théorie du roulement sans glissement est fausse. Il y a bien glissement d'un profil sur l'autre. Dans ce cas particulier, c'est même un peu plus compliqué que ça parce que chaque dent se comporte comme une poutre encastrée d'un seul côté soumise à un chargement ponctuel : elle fléchit sous la charge. A tel point que dans les cas extrêmes le jeu de denture espéré devient une interférence et que le flanc opposé glisse en frottant fortement sur la dent suivante. Dans tous les cas, cette flexion s'ajoute à la déformation locale due au contact ponctuel ce qui augmente le glissement d'un profil sur l'autre. Je ne vais pas m'étendre plus en détail sur ce sujet qui a lui seul mériterait quelques pages. L'important ici est de comprendre que même si l'engrenage est censé rouler sans glisser, ce n'est jamais strictement le cas. De toutes façons, tout mécanisme réel est soumis à des tolérances de fabrication. Les profils réels ne sont pas les profils idéaux. De surcroît, les déformations sous contrainte du mécanisme (flexions d'arbres, déformations des carters, etc.) conduisent inévitablement à des glissements de surfaces censées rouler sans glisser.
Le frottement à trois corps
Au bout d'un certain temps, la quantité de particules arrachées qui circulent dans l'interface devient significative. La perte énergétique qui ne dépendait que des surfaces se trouve liée à la mobilité des particules les unes par rapport aux autres. Le débit de particules dans l'interface conditionne le rendement de l'interface.
Source : G.W. Stachowiak. Wear - Materials, mechanisms and practice. Tribology in practice series. Wiley, Hokoben, NJ, USA, 2005.
Ces particules, libérées dans l'environnement vont impacter d'autres mécanismes. Lorsque je faisais des analyses de défaillances de moteurs, j'étais confronté à ce sujet à un problème pas toujours facile à solutionner. Une particule d'acier cémenté qui réussit à parvenir dans un palier de vilebrequin détruit très rapidement la géométrie d'un coussinet qui est recouvert d'étain beaucoup moins dur que l'acier cémenté. Souvent cette particule se plante dans l'étain et vient "usiner" le tourillon comme un outil de tour. La portance du palier en est affectée. Si elle l'est de manière importante, le palier peut être détruit. Beaucoup de mécaniciens concluent hâtivement à une défaillance de palier sans autre explication. Alors qu'en réalité, l'origine est peut-être un défaut de filtration ou de nettoyage des conduits d'huile après une casse précédente. De mon expérience, je sais que ce problème de mauvais nettoyage est en fait une cause importante de casses à répétition "inexpliquées" de moteurs de course. Ouvrez, la pompe à huile après une casse-moteur. vous allez être surpris quand vous verrez l'état des engrenages qui ont laminé les particules libérées dans le moteur. Les filtres n'arrêtent pas tout au premier passage du lubrifiant.
Jusqu'à maintenant, nous avons considéré deux pièces qui frottent l'une sur l'autre. Nous allons maintenant étudier ce qui se passe lorsqu'on intercale un lubrifiant entre ces deux pièces. Le lubrifiant est un troisième corps qu'on intercale volontairement entre les deux surfaces.
QUALITES PRIMAIRES REQUISES POUR UN LUBRIFIANT
Séparation des surfaces antagonistes
Idéalement, le lubrifiant devrait avoir une épaisseur telle qu'il sépare les deux surfaces pour empêcher tout contact métal-métal.
Refroidissement
Un bon lubrifiant maintient l'interface à une température telle que les caractéristiques physiques des matériaux ne soient pas fortement impactées. En particulier, Il refroidit suffisamment pour qu'en cas de contact entre les deux surfaces à aucun moment il ne puisse se produire de fusion qui détruirait immédiatement les surfaces (usure adhésive.)
Evacuation des débris
Le lubrifiant doit permettre et même faciliter l'évacuation des particules qui pourraient être arrachées dans l'interface.
Protection contre les effets chimiques
Le lubrifiant doit protéger les surfaces des risques d'oxydation et même de corrosion galvanique. Il ne doit pas se comporter comme un électrolyte.
Les trois premières conditions essentielles pourraient souvent être remplies par de l'eau. Pour la quatrième, ce serait beaucoup plus difficile.
REGIMES DE LUBRIFICATION
Lubrification limite
La lubrification limite est celle que la majorité du public croit connaitre et appliquée quasiment partout. En réalité de nombreux mécanismes fonctionnent avec d'autres régimes de lubrification. Le lubrifiant s'accroche aux surfaces sous la forme d'un film de quelques dizaines de nanomètres (1 nanomètre = 0,000 000 001 mètre). Le lubrifiant doit avoir des caractéristiques polaires* qui lui permettent de rester accroché par adsorption ou chimisorption.
*polaire : dont la molécule possède un côté électronégatif et un côté électropositif. En fait, la molécule se comporte en quelque sorte comme un aimant. L'eau par exemple est polaire (à l'échelle de sa molécule.)
L'adsorption est un phénomène de surface universel. Une surface est constituée d'atomes n'ayant pas toutes leurs liaisons chimiques satisfaites a tendance à combler ce manque en captant les atomes et molécules passant à proximité. Nous reparleront de ce phénomène à propos des additifs extrême-pression présents dans les lubrifiants modernes pour boites et ponts.
La chimisorption est une forme d'adsorption dans laquelle le matériau adsorbé est maintenu par des liaisons chimiques.
La lubrification limite recouvre les surfaces, mais il n'y a aucune pression autre que la pression atmosphérique dans le lubrifiant. Lors du rodage des surfaces, un mélange de lubrifiant et de débris de rodage se forme.
Avec une lubrification limite,les coefficients de frottement sont relativement importants. 0,05 à 0,15.
Coefficient de frottement
Rapport entre la force nécessaire pour faire glisser une surface sur l'autre et force qui maintient les surfaces en contact.
En multipliant la force de frottement par la vitesse de déplacement on obtient la puissance dissipée en frottement. En multipliant la puissance dissipée en frottement par le temps on obtient l'énergie dissipée en frottement. Dans la majorité des cas cette énergie est perdue.
Le coefficient de frottement statique est toujours plus grand que le coefficient de frottement dynamique à sec et encore plus avec des contacts lubrifiés. Je ne sais pas pourquoi, mais si on fait l'expérience de faire glisser les deux brosses dont je parle plus haut, on voit bien qu'il faut pousser plus fort sur les brosses pour les mettre en mouvement que pour maintenir le mouvement. Peut-on en déduire qu'une fois en mouvement les pics de rugosité fléchissent dans le sens le plus favorable ? Je ne sais pas, mais j'aime bien cette image qui permet de se représenter ce qui se passe, même si la réalité est un peu différente.
Lubrification hydrostatique
Elle s'apparente à la poussée d'Archimède : la pression appliquée sur une surface crée une force qui repousse cette surface.
Le lubrifiant arrive sous pression dans l'interface et éloigne les surfaces l'une de l'autre. Ce lubrifiant peut être un gaz : exemple l'Aérotrain de Jean Bertin. Lien vers Aerotrain
Ceci implique qu'il existe une pompe suffisamment puissante pour fournir la pression hydrostatique. Cette solution est la seule qui permette de dissocier totalement les surfaces lorsqu'elles ne sont pas en mouvement relatif.
Des poches sont aménagées dans l'une des pièces. Elles sont alimentées sous pression et se comportent ainsi comme des chambres de vérin pour écarter les pièces.
Ce type de lubrification est surtout utilisé pour des pièces très lourdes, en mouvement très lent, comme par exemple des structures mobiles de bâtiments.
Lubrification hydrodynamique
Palier hydrodynamique
L'image ci-dessous représente la coupe d'un palier hydrodynamique supposé d'une longueur infinie.
L'arbre tournant dans le palier est représenté en gris. Le palier proprement dit est en bleu. Le palier est fixe. Le lubrifiant est représenté en jaune. Pour que le système fonctionne correctement il faut que l'alésage soit plus grand que l'arbre. Il existe donc un jeu que peut combler le lubrifiant
En haut à gauche, on voit la configuration du palier lorsque l'arbre ne tourne pas. A cause de la gravité, l'arbre tombe en bas de l'alésage.
En haut à droite, on voit la position prise par l'arbre lorsqu'il tourne à vitesse très faible : l'arbre roule sur l'alésage ce qui tend à lui faire monter la pente constituée par celui-ci. La position d'équilibre dépend de l'effort appliqué sur l'arbre (gravité ou charge imposée) et de la vitesse périphérique de l'arbre.
Dans son mouvement de rotation, l'arbre entraine avec lui une partie du lubrifiant qui l'entoure. Au fur et à mesure que l'arbre accélère, la pression locale de l'huile à l'endroit où l'arbre porte sur son palier augmente. L'augmentation de pression soulève l'arbre. C'est ce qu'on voit en bas et à gauche sur l'image ci-dessus. A ce stade, le régime hydrodynamique est établi. L'arbre porté par le lubrifiant ne touche plus l'alésage. Il se passe exactement la même chose que lorsqu'un pneu de voiture part en "aquaplanning", en français hydroplanage.
La partie en jaune sombre sur le schéma représente la pression hydrodynamique dans un repère polaire (la pression est symbolisée par la longueur de la flèche et son orientation indique l'angle de la normale à l'arbre sous lequel cette pression s'applique.
On va s'arrêter un petit peu sur ce détail qui peut perturber certains lecteurs. A l'école primaire (du moins quand j'y étais... maintenant c'est peut-être au collège ou au lycée) on apprend que dans un fluide (liquide ou gaz) la pression est la même partout. Ce n'est vrai que lorsque le liquide n'est pas soumis à une accélération. On sait bien que par exemple l'accélération de la pesanteur provoque une augmentation de pression en fonction de la hauteur d'une colonne de liquide : la pression de l'eau au fond des océans est plus grande qu'au voisinage de la surface. Un autre exemple est le coup de bélier dans une canalisation. quand on ferme brutalement un robinet, la colonne d'eau subit une décélération instantanée qui provoque une forte augmentation de pression locale.
A une vitesse infinie, l'arbre se trouve parfaitement centré par rapport à son palier (image en bas à droite.)
La pellicule d'huile qui se trouve sur l'arbre tourne à la vitesse de l'arbre. La pellicule d'huile qui se trouve contre le palier est à la vitesse du palier c'est-à-dire à l'arrêt. Entre les deux, les différentes couches de lubrifiant glissent les unes sur les autres.
Profils de vitesses dans le lubrifiant
Il en résulte un frottement des différentes couches qui échauffent le lubrifiant. Cet échauffement contribue à diminuer la viscosité générale de l'huile. Par conséquent, même s'il n'y a pas de contact métal-métal, le palier s'échauffe. L'absence de contact métal-métal, tant qu'elle est effective garantit l'absence d'usure abrasive et à plus forte raison adhésive. Elle diminue fortement la puissance dissipée en régime hydrodynamique. Par contre, le cisaillement des molécules entre les différentes couches de lubrifiant finit par en diminuer la viscosité. Le lubrifiant s'use.
D'autre part, la pression hydrodynamique locale peut être très importante aux vitesses de glissement élevées. On sait que la pression impacte les températures de transition de phase. L'eau par exemple ne bout à 100 °C qu'à la pression atmosphérique. Dans un autocuiseur ou dans un circuit de refroidissement pressurisé, sa température d'ébullition est plus importante. Il en va de même pour la fusion. La glace fond à 0°C à la pression atmosphérique. Sous forte pression, la glace fond à des températures supérieures. Encore une fois il faut nuancer ce qu'on a pu apprendre à l'école primaire parce que ce n'est vrai que dans un contexte particulier : celui de l'ambiance atmosphérique normale sur terre.
Le lubrifiant subit aussi des variations de phase liées aux champs de pression dans un palier hydrodynamique. Aux pressions extrêmes auxquelles il est porté, le lubrifiant peut devenir solide. C'est ce qui explique qu'un palier hydrodynamique peut fonctionner avec un film de lubrifiant extrêmement fin, mais aussi que des ruptures de film d'huile peuvent se produire dans le palier. Comme tous les solides, le lubrifiant en phase solide à un comportement élastique. Quand on étudie un palier avec une approche professionnelle, on doit faire une étude EHD (Elasto-Hydro-Dynamique.)
Des gaz peuvent être présents dans les lubrifiants. Il y en a quasiment toujours dans les huiles-moteur lorsque les moteurs fonctionnent. Le lubrifiant qu'on imagine comme un liquide parfait est souvent partiellement émulsionné lorsqu'il arrive au palier. C'est particulièrement vrai avec les systèmes de lubrification à carter sec. Nous y reviendrons plus tard. Ceci complique encore les calculs.
Pour un palier de longueur infinie, il n'y aurait pas de consommation d'huile. par conséquent pas de nécessité de compenser des pertes. Dans un palier réel, il y a des fuites de lubrifiant aux deux extrémités. En conséquence, la portance du film d'huile est moindre aux extrémités qu'au centre du palier.
Champs de pression dans un palier hydrodynamique (Document Comsol)
Dans la simulation numérique ci-dessus, la pression d'alimentation est quasi nulle et la pression hydrodynamique maximale atteint 66,5 bars au centre du palier. Elle est quasi-nulle aux extrémités. C'est un point particulièrement important : la pression d'alimentation d'un palier n'est pas un paramètre de première importance contrairement à ce qu'on lit sur la plupart des des forums automobiles parce que ce n'est pas elle qui sépare arbre et alésage. On y reviendra quand on étudiera plus en détail ce point dans la troisième partie.
De surcroît, les pièces qu'on imagine d'une rigidité infinie ne le sont pas dans la réalité. Un tourillon de vilebrequin de moteur fléchit à cause des forces d'inertie et des forces de combustion. Nous reviendrons sur ce point un peu plus tard. Toujours est-il que le jeu du palier n'est pas constant sur toute sa longueur. Pour un moteur, et pour beaucoup d'autres mécanismes la direction des forces appliquées sur l'arbre varie constamment en fonctionnement. La gravité devient vite négligeable dès que le palier est en service. La position prise par l'arbre dépend d'un équilibre entre les forces hydrodynamiques et les efforts imposés à l'arbre.
Généralisation du régime hydrodynamique
Un skieur nautique s'enfonce dans l'eau lorsqu'il est à l'arrêt. En mouvement, la pression hydrodynamique sous ses skis le maintient à la surface. Il en va de même pour toutes les pièces aux arêtes chanfreinées ou rayonnées qui circulent avec une trajectoire rectiligne ou même curviligne en appui contre une pièce antagoniste de forme associée. C'est notamment le cas des pistons de moteurs, des cames et de nombreux autres organes mécaniques comme par exemple les dents d'engrenages.
On comprend bien que l'obtention du régime hydrodynamique dépend d'une part de la vitesse de glissement (le skieur nautique coule si la vitesse du bateau est trop faible) et d'autre part de la pression antagoniste due aux efforts appliqués sur la zone de contact. On se doute aussi que la viscosité du lubrifiant intervient. On a aussi vu que le lubrifiant est cisaillé ce qui absorbe de l'énergie. De ces constats, on tire les grandes règles suivantes :
- Plus la vitesse de glissement est importante, plus le lubrifiant peut être fluide
- Plus le lubrifiant est fluide, moins la perte énergétique sera grande
- Plus la pression due à la charge est grande, plus le lubrifiant devra être visqueux
Voir un peu plus bas le graphique d'évolution de la courbe de Stribeck
Exemples :
- vis de serrage d'étau : lubrification à la graisse
- engrenages : lubrification à l'huile visqueuse
- broche de machine-outil : lubrification à l'huile fluide
- moteur pneumatique de meuleuse crayon : lubrification à l'huile très fluide
De ce qui vient d'être écrit ci-dessus on tire une conclusion très importante : le choix d'un lubrifiant pour une machine complexe telle qu'un moteur automobile ou une machine outil qui a un carter commun pour la broche et les boites à vitesses ne peut qu'être un compromis. Le lubrifiant idéal pour un contact n'étant quasiment jamais le lubrifiant optimal pour un autre. On va voir ci-dessous que c'est en fait encore plus compliqué que ça.
REGIME MIXTE
Nous avons montré que pour que le régime hydrodynamique s'établisse, il faut une vitesse suffisante. Dans le cas d'un palier de moteur au démarrage dans les premiers instants le palier est en régime limite si le moteur a tourné récemment voire en contact métal-métal si l'huile a totalement disparu à cause d'une non-utilisation prolongée. Le régime hydrodynamique s'établit très rapidement et persiste s'il n'y a pas d'avarie de lubrification. L'usure est très limitée.
Pour une articulation de pied de bielle, c'est beaucoup plus compliqué. En effet, le mouvement de cette articulation est oscillant. Cela signifie que la vitesse de glissement s'inverse fréquemment et implicitement devient nulle à chaque inversion. Le régime de lubrification de cette articulation est tantôt hydrodynamique, tantôt limite. Par chance, sur un moteur l'articulation de pied de bielle est beaucoup moins chargée que celle de tête de bielle parce qu'elle ne subit pas les efforts d'inertie dus à la masse de la bielle. Mais croyez-moi, j'ai vu plus de défaillances de pieds que de têtes de bielles au cours de ma carrière d'expert moteurs.
Simulation numérique du fonctionnement des deux articulations d'une bielle de moteur
DIAGRAMME DE STRIBECK
Le diagramme de Stribeck permet de déterminer le régime delubrification en fonction de la vitesse de glissement.
Evolution de la courbe de Stribeck en fonction de la viscosite du lubrifiant
Plus le lubrifiant est visqueux, plus le régime hydrodynamique s'amorce tôt, mais plus le coefficient de frottement est important. C'est pour cette raison que contrairement à une opinion très répandue dans le grand-public un moteur de course ou sportif ne devrait normalement pas utiliser de lubrifiants visqueux. Cependant, ce type de moteurs s'ils sont bien préparés, produisent des hydrocarbures imbrûlés dont une partie se condense sur les parois des chambres de combustion et terminent comme polluants du lubrifiant. Dans le lubrifiant, ils ont un effet diluant qui diminue la viscosité. Un préparateur sérieux utilise un lubrifiant fluide et le vidange à chaque course soit tous les 500 km au maximum en rallye ou circuit. Ce n'est généralement pas le cas des m'as-tu-vu qui font des embardées sur la route avec des voitures de série aux moteurs "gonflés". Comme leurs lubrifiants sont très rapidement saturés de carburant, on leur recommande d'utiliser des grades 10W60 pour qu'une fois chaud le lubrifiant pollué conserve assez de viscosité. Ce faisant, leurs moteurs fonctionnent au début avec des lubrifiants inadaptés et ensuite avec un mélange huile-essence aux qualités douteuses. La préparation d'un moteur ne se fait pas seulement avec des pièces et produits vendus à prix d'or, il faut aussi des compétences techniques.
Nous allons en rester là pour cette première partie très théorique qui pourrait rebuter ou décevoir certains lecteurs. Sa compréhension est un étape importante pour aborder la suite. J'ai beaucoup simplifié cette partie. Ceux qui veulent l'approfondir disposent maintenant de suffisamment de mots-clés pour faire des recherches sur Internet.
La seconde partie qui sera en ligne dans quelques jours traitera des lubrifiants.
Dans la troisième partie nous verrons quelques cas d'emploi plus en détails et j'espère que cette partie répondra aux attentes des lecteurs de ce blog.
En fait la lubrification est un domaine dont on pourrait parler pendant des jours tellement il est complexe. Je ne suis d'ailleurs par assez compétent pour cela. Je l'ai déjà dit plus haut, chaque cas est particulier. Si après avoir lu ces trois parties vous doutez de vous, alors vous serez sur la bonne voie pour progresser.
Je doute, donc je suis !
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